ISSEKINICHÕ, I 一石二鳥

Issekinicho est une édition dont le titre fait référence à un proverbe japonais, littéralement traduit par « une pierre, deux oiseaux », et qui résonne dans notre culture sous l’expression « faire d’une pierre deux coups ». À travers ce projet, j’envisage le médium photographique comme un double mouvement : celui du regard, puis de l’indexation. Je cultive un goût pour le pittoresque et le curieux, dans le sens que lui donne le Dictionnaire universel de 1790 : « se dit en bonne part de celui qui désire apprendre, voir les merveilles de l’art et de la nature, ou qui amasse des choses rares, singulières, excellentes, ou qui les regarde comme telles. » Dans cette démarche, le curieux n’est certainement pas un connaisseur, mais un explorateur des choses qui retiennent son regard.

En cadrant une image, je pointe du doigt un objet ou une situation qui, à mes yeux, dépasse le simple instant capturé. Je cherche ainsi des synecdoques visuelles, où chaque détail représente une partie d’un tout plus vaste, révélant des significations implicites. Mon travail photographique devient alors un jeu d’indexation du monde, une manière de faire surgir l’invisible à travers le visible.

C’est la casquette d’artiste qui me permet d’adopter des perspectives multiples et souvent contrastées : parfois je suis peintre, géologue, archéologue, biologiste, ou simplement touriste. Cette pluralité de points de vue nourrit avant tout un rapport contemplatif au monde. Les compositions formelles se construisent par des oppositions et des rapprochements : le végétal et le minéral, le construit et la ruine, le pictural et le sculptural, l’entropie et la négentropie. Ces dynamiques, ces tensions, deviennent les moteurs de mes images, où chaque élément dialogue avec l’autre, qu’il soit naturel ou humain.

Bien que mes images ne représentent jamais d’humains, elles témoignent néanmoins de la relation complexe et parfois conflictuelle que nous entretenons avec notre environnement. Mon regard s’attarde sur la trace que l’homme laisse dans la nature, tout en capturant les échos de notre présence invisible.

Le titre Issekinicho fait aussi écho à la structure même de l’édition. Ce projet, à la fois livre et collection de tirages, permet une interaction renouvelée à chaque consultation. Le fait que les images ne soient pas reliées invite à des associations sans fin, donnant la possibilité d'accentuer une interprétation ou d’en proposer de nouvelles. Cette flexibilité, cette modularité, fait de l’édition un terrain d’expérimentation, un espace ouvert où chaque mise en relation d’images ouvre la voie à une multiplicité de significations.

«Un navire de croisière argentin, brésilien peut être ? Deux papillons, trois chatons, quatre silos. Une pierre, deux cous et les pélicans à qui ils appartiennent, trois... trois... On pourrait encore longtemps compter les objets, les choses, les détails qui se suivent dans cette sélection d’images qu’est l’Issekinicho de Malo Legrand. Issekinicho, c’est déjà un compte, le compte de celui qui prend dans son filet un instant, une composition. Celui qui jette son regard à la figure du regardeur après lui. « Une pierre, deux oiseaux » c’est une chasse efficace que celle du photographe il capture une image et son geste ricoche, la pierre frappe l’oeil du spectateur, captif. Pris au piège d’une série sans cesse renouvelée par un ordre faussement établi, renouvelée par la liberté de faire se rencontrer des images sans raison. La série qui se déploie sous les yeux n’est pas une suite, c’est un ensemble horizontal fait de liens qui ne concernent que celui qui les voit. Deux papillons, trois chatons, quatre silos. Deux pélicans, trois chiffres sur une porte et cent autre choses, sans but, sans objectif...»

ISSEKINICHÕ, texte de Maxime Chochon, 2022, Rennes

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