AL-ULA
«Un homme marche sous l’aridité du ciel. Nous ne savons pas qui il est, d’où il vient, ce qu’il fuit, les raisons qui mènent ses pas. Nous voyons son corps inlassable, nous voyons les pensées et les sentiments qui le traversent, qui ne sont pas plus à lui que les vêtements qu’il porte et les paysages qu’il parcourt ; nous distinguons quelques- unes des images qui naissent dans son cerveau, celles qui reviennent, insistent ; des hampes de palmier tapissant le ciel, un visage de femme, des enfants qui jouent dans un jardin cerné de murs de terre, des figures abstraites brodées sur un tissu de coton. Impossible de savoir s’il se souvient ou s’il les imagine ; les images viennent sans prévenir, l’envahissent, déteignent sur les choses. Il marche lentement. Nous entendons le son de ses pas sur le sable, sa respiration régulière, le vent qui siffle dans ses oreilles. Nous le suivons. Bientôt il s’arrêtera, posera son sac à l’ombre d’un rocher, en sortira une gourde, boira quelques gorgées. Observons-le. Il ne s’assied pas ; il regarde le ciel, les falaises de grès rouge le long de l’oued, la palmeraie au loin où il compte passer la nuit à l’abri des regards ; il scrute ses mains gercées par le soleil, ses ongles noirs, les cornes qui font le tour de ses paumes ; avec deux doigts de sa main gauche, il caresse les renflements durs et lisses, ils lui font penser à ces rochers qu’il a croisés avant d’entrer dans l’oued ; ronds, petits, doux comme la peau ; une image se forme ; une main immense, grande comme l’estuaire d’un fleuve éteint, couverte de cornes brunes ; la callosité du désert. Un aboiement, il tourne la tête, l’image s’efface. Il se lève et reprend sa marche. Il atteindra la palmeraie avant la nuit. Il dormira dans une ferme abandonnée. Il ramassera des feuilles de palmiers dont il se fera un lit, du bois dont il fera un feu. Il mangera ce qu’il aura cueilli, oranges, dattes, cédrats et dormira avec le soleil. Puis il reprendra sa marche.»
PEUPLÉ DE FEUILLES QUI BOUGENT, extrait du texte de Bastien Gallet et Laura Sellies










