BONSAÏ, SUISEKI, VASES & IKEBANA

J’ai développé une attention particulière pour une forme d’horticulture qui, pour certains, relève de l'art : le bonsaï. D'abord chinois, le bonsaï désignait à l’origine tout arbre cultivé en pot, un moyen pour les moines herboristes de transporter des plantes médicinales vivantes. Adoptée au Japon, la pratique du bonsaï s’y est profondément enrichie de codes esthétiques, philosophiques et spirituels, formant un véritable lien entre l’homme, la nature et l’invisible.

Aujourd’hui, cette pratique m’évoque plus qu’un simple acte de culture ; elle questionne le rapport de l’homme au monde et à la nature, dans un contexte de crise environnementale. De cette tradition, je conserve avant tout le respect pour l’arbre, qui devient bien plus qu’un objet de contemplation esthétique : il devient un être vivant, une entité avec laquelle je suis en dialogue constant. Pour que l'arbre s'épanouisse pleinement, je dois lui offrir des conditions propices, et en retour, il me guide dans le processus de taille, dans l’acte de « revenir en arrière » pour révéler ce qui est caché. Ce processus de transformation m’oblige à adopter un regard attentif, un regard qui va au-delà de l'apparence, qui sait attendre et s'adapter. Ce dialogue avec l'arbre devient, dans cette optique, une forme de spiritualité : une méditation sur le temps, la patience, la croissance et la dégradation.    Cette approche par soustraction – laisser pousser, puis tailler – est un acte de résistance face à un monde où tout est souvent fabriqué à grande échelle, dans l'urgence et la consommation immédiate. Elle reflète, à mon sens, une forme de contre-pouvoir, un refus du productivisme aveugle. Dans ce processus, chaque bourgeon, chaque branche qui apparaît devient une négociation, une co-création avec l’arbre. Face à l’inimaginable, je m’adapte à cette « différance » chère à Derrida, en acceptant de ne pas tout maîtriser, et de laisser place à l’inattendu. Ce n’est pas seulement une pratique horticole, c’est une posture politique : une remise en question du contrôle absolu, une invitation à reconnaître les cycles naturels et à accepter l’imprévu comme une force génératrice de sens.

En explorant ce monde, la dimension holistique de cette pratique m’a poussé à plonger dans la céramique, un art ancestral qui transforme la matière en profondeur. La poterie, dans son aspect utilitaire et esthétique, est un moyen d’engager un dialogue plus vaste avec la nature. Le processus de création, du prélèvement des matériaux à leur cuisson, en passant par la fabrication de mes émaux à partir de matériaux trouvés sur place, représente un acte de réappropriation. Dans un monde où la production industrielle façonne notre quotidien, la céramique devient pour moi une forme de résistance créative, un acte politique de durabilité. À chaque étape, je cherche à minimiser mon empreinte écologique tout en créant des objets de beauté qui nourrissent une réflexion sur l’éthique de la consommation et la pérennité des matériaux.

Ce travail avec l’argile et le végétal s’inscrit dans une démarche consciente de longévité. Ces objets ne sont pas simplement des sculptures ou des décorations, mais des outils du quotidien. Ils sont destinés à accueillir des éléments naturels – une pierre, des fleurs, un arbre – des fragments de paysages qui portent en eux l’histoire de leur extraction, de leur naissance. En interrogeant la frontière entre le dedans et le dehors, entre l’objet utilitaire et l'œuvre d'art, je cherche à établir une forme de connexion intime avec la nature, à faire entrer l’extérieur dans nos espaces privés. Ces contenants deviennent des fragments de nature, des lieux de mémoire et de transformation, tout en étant ancrés dans la durabilité et la réutilisation, des valeurs essentielles face aux enjeux environnementaux actuels.

Par cette pratique, je porte un regard critique sur la manière dont nous vivons avec le monde naturel, en réintégrant dans notre quotidien des objets qui non seulement résistent à l’usure du temps, mais qui nous rappellent aussi notre responsabilité envers la terre et les générations futures. Cette démarche implique de réconcilier la beauté, la durabilité et la spiritualité dans un acte créatif en harmonie avec le monde naturel.

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