
GUSANO, extrait de l’édition, éditée par Mosquito Coast Factory & Clément Wibaut Savenay, 2024,
GUSANO - OLLA/OYA
Projet réalisé avec le soutient de Mosquito Coast Factory, avec la participation du Collectif de l’Aberiette
Alors encore étudiant et passionné d’’horticulture c’est tout d’abord la rencontre avec un maraîcher bio qui a déclenché une réflexion profonde sur les techniques agricoles. Au cœur du collectif l’Aberiette, un terme ancien signifiant "abri" en vieux Sarthois, nous échangeons depuis quatre ans avec des esprits divers et passionnés dans le petit village de Souvigné-sur-Sarthe, niché dans les Pays-de-la-Loire. Parmi ces âmes engagées se trouve Nicolas Beaudouin, maraîcher bio installé depuis plusieurs années, il utilise des machines agricoles qu'il a lui-même conçues, suivant les plans de la coopérative l’Atelier Paysan. Ces créations DIY (do-it-yourself) sont à la fois des instruments techniques et des sculptures vivantes, symbolisant une réappropriation des savoirs artisanaux en réponse à l'agriculture industrialisée dominante. J’ai été inspiré par ces objet qui prenait la forme de « sculptures utiles ».
Après un voyage enrichissant de plusieurs mois en Amérique du Sud, j'ai été fasciné par les ollas, ces jarres poreuses utilisées depuis des siècles pour l’irrigation elles conservent une porosité idéale après une cuisson à basse température, permettant une irrigation douce et régulière par capillarité. En explorant davantage les techniques de culture sur sol vivant et les habitants invisibles du sol, j'ai découvert l'importance cruciale de cette vie souterraine. Un être vivant seul - le ver de terre- peut façonner la chimie du sol, jouant un rôle essentiel de grand structurateur, dans la formation du complexe argilo-humique. Inspiré par ces révélations, j'ai commencé à produire à partir d’argiles prélevées localement, des ollas en hommage à ces créatures bienfaisantes.
Au printemps 2024, j'ai créé une première série d’ollas destinées aux potagers de trois foyers : d’abord chez Jérôme et Sophie Chauvin, agriculteurs éleveurs caprin basé dans le village de Souvigne-sur-Sarthe village ; puis chez Michaël Harpin et Mylinh Guyot, amis maraîchers et producteurs de plantes médicinales dans la région ; et enfin chez Mick et Roby, hôtes des expérimentations du collectif de l’Aberiette depuis plusieurs années qui ont accueilli au printemps, la première cérémonie. L'une des spécificités des ollas c’est ces rituels annuels : elle sont mises en place au printemps pour la période de culture et d’éveil des vers ; puis elles doivent être retirées de la terre pour être nettoyées et entreposées -afin de les protéger du gel- durant le repos hivernal des cultures et des animaux.
Mon ambition est de produire davantage d'ollas chaque année pour les distribuer, espérant ainsi voir naître des rituels annuels au sein du village et du réseau formé grâce à ces objets. Il s'agit d'offrir à la terre et à ses habitants ces formes utilitaires, leur permettant de s’épanouir sans craindre la sécheresse, avec l’espoir que, au fil des saisons, leur place soit respecté et leur rôle célébrés. Avec chaque olla, nous offrons un hommage silencieux à la terre, une prière pour son renouveau constant et sa fécondité renouvelé. Interrogeant ainsi la place du sacré et de la symbolique du vivant dans nos sociétés contemporaines occidentales.
Le travail de récolte des argiles disponibles localement ouvre une dimension fascinante d’artisanat et d’autoproduction, en exploitant des matériaux omniprésents, divers et abondant dans le territoire comme matière première. Ainsi, la dimension artistique se développe en harmonie sur deux voies parallèles. Premièrement, les pièces réalisées incarnent une authentique utilisation de la matière locale : l’argile est extraite à proximité, travaillée sur place, puis transformée pour retrouver un usage direct dans la région dont elle provient. Cette circularité géographique et matérielle renforce le lien entre l’objet et son environnement d’origine. Deuxièmement, l’aspect cumulatif et évolutif du projet enrichit continuellement la pratique. À mesure que la technique se diffuse, elle évolue, intégrant les retours et les innovations de ceux qui l’adoptent. Ce projet ne se contente pas de perpétuer des traditions ; il les revitalise, adaptant les techniques et les rituels au fil du temps. Chaque nouvelle série d’ollas, chaque nouvelle utilisation et chaque nouvelle célébration contribue à une dynamique de transmission et de transformation, où le savoir-faire artisanal se mêle à l’innovation et où les pratiques ancestrales trouvent une résonance contemporaine. Ainsi, le projet incarne une symbiose harmonieuse entre l’héritage et l’évolution, faisant écho à un profond respect de la nature et de ses cycles perpétuels.
crédits photographies : ©Louis Souetre ©Malo Legrand
Un grand merci à Mosquito Coast Factory et particulièrement à Benoît-Marie Moriceau pour l’invitation en résidence. Merci également aux membres du collectif de l’aberiette pour leur participation volontaire à ce projet. Merci à Mick et Roby Gewinner pour leur accueil sur leur terrain depuis plusieurs années.